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Nourrir les animaux sauvages, bonne ou mauvaise idée ?

À l’arrivée de l’hiver, j’ai remarqué à plusieurs reprises des personnes souhaitant nourrir les animaux sauvages pour les “aider” à traverser la saison sans encombre. Mais est-ce réellement une bonne idée ? Nous allons voir cela ensemble !

Les animaux ont-ils vraiment du mal à passer l'hiver ?


La réponse est oui. L’hiver, les animaux dépensent plus d’énergie pour pouvoir se réchauffer et se déplacer dans la neige : ils évitent donc de se déplacer inutilement et restent allongés dans les buissons pour éviter les prédateurs. Certaines espèces descendent en altitude, et se rapprochent de la civilisation pour pouvoir se déplacer sans trop de problèmes, trouver de la nourriture et profiter du sel sur les routes : voilà pourquoi nous voyons plus de cervidés en cette saison. Cependant, à cause de la pression humaine, d’autres espèces sont contraintes de rester en altitude.


Il est très important, d’autant plus l’hiver, d’éviter un maximum le dérangement : chaque fuite peut avoir des conséquences dramatiques, certaines espèces étant plus sensibles que d’autres. Par exemple, certains secteurs sont interdits d’accès pour préserver la quiétude du Grand Tétras, espèce d’oiseau très sensible au dérangement. À la fin de l’hiver, il y a forcément des animaux qui n’ont pas survécu : les plus faibles (qui laissent la place aux plus forts, endurcis avec l’hiver, pour le rut), les chutes (comme le cas des Isards atteint de kératoconjonctivite, maladie atteignant les yeux), les accidents de voiture, etc.


Cerf élaphe (Cervus elaphus)


Comment font les animaux l'hiver, pour se nourrir ?


- Le cas des carnivores


Les prédateurs sont aussi sensibles au froid que leurs proies, ils doivent donc bien préparer leur chasse pour éviter de se dépenser inutilement. Ils vont donc se concentrer sur des proies “faciles” : pour le renard, ce sont les rongeurs par exemple (ou des carcasses, puisqu’il est opportuniste). D’autres prédateurs (comme le lynx ou le loup) vont chasser les mêmes proies que d’habitude mais vont profiter de leur faiblesse face à l’hiver pour chasser sans trop s’affaiblir.



Renard roux (Vulpes vulpes)


- Le cas des herbivores


Les herbivores font des réserves de gras avant l’hiver, en mangeant plus qu’auparavant. Pendant l’hiver, ils trouvent de l’énergie en mangeant des racines, des écorces, les rameaux des résineux, les graines de sorbiers, de l’herbe en grattant la neige, etc. La nature est bien faite et met à disposition à ses habitants, de la nourriture même en période hivernale.


Isard des Pyrénées (Rupicapra pyrenaica pyrenaica)


Devons-nous ou non nourrir les animaux sauvages ? Et pourquoi ?


La réponse est claire : non. En pensant comme un humain, et non comme un animal, nous nous imaginons que nourrir un animal est une bonne idée pour les “aider” : or, ça ne les aide - au contraire - absolument pas. Voilà les diverses raisons :


Nourrir les animaux les habitues aux Hommes et c’est une mauvaise chose, car les rendre dépendants de nous les empêchera de se débrouiller par eux-même dans la Nature (les prédateurs ne sauront plus chasser par exemple). Ce ne sont pas des animaux domestiques et ils savent trouver leur nourriture par eux-même.


Les zones de nourrissage favorisent la transmission des maladies. Dans la nature, les animaux ne sont pas collés aux uns et aux autres pour se nourrir. Les maladies circulent donc moins vite et emportent uniquement les plus faibles. Aux zones de nourrissage, les maladies circulent extrêmement rapidement et peuvent décimer une grosse partie d’une population.


Le nourrissage favorise la surpopulation. Pour le cas du sanglier, il a été prouvé que l’agrainage favorise leur surpopulation (vidéo de l’ASPAS à voir ici). Cela peut être valable pour toutes les autres espèces et bouleverser l’équilibre proie-prédateur (si les prédateurs sont nourris, ils ne chassent pas ; si les proies sont nourries, elles se reproduisent plus et ne seront pas chassées par les prédateurs).


Les animaux les plus faibles accèderont à la reproduction. Pendant le rut, seuls les animaux vigoureux ont pu passer l’hiver et seront aptes à se reproduire. Si les plus faibles accèdent à la reproduction, il y a un risque que la qualité du patrimoine génétique de la population en question s’amenuise. 


Les animaux resteront sur une zone concentrée. Dans la nature, chaque animal apporte des conséquences positives à la suite de ses actes de son environnement. Le Cerf élaphe par exemple permet l’ouverture des milieux et donc aide les Perdrix et Tétras à se reproduire. Si les animaux restent dans une zone trop concentrée, il y aura forcément un bouleversement derrière sur d’autres espèces. De plus, la zone en question sera surfréquentée et piétinée : cela aura donc des conséquences sur la pelouse (qui finira par disparaître) et les animaux qui en découlent (insectes, micromammifères, etc.) soit un problème d’équilibre biologique (puisque tout est lié à la nature).


Tant que le phénomène reste ponctuel l’effet n’est pas dramatique mais s'il tend à se généraliser les conséquences peuvent être désastreuses. Il faut également éviter de se dire “je nourris les animaux mais à ma petite échelle, cela n’a aucun effet” car il ne faut pas oublier qu’une grande partie de la population qui nourrit pourrait se dire ça également. Pour le bien-être animal, on ne nourrit pas les animaux sauvages.


Hérisson commun (Erinaceus europaeus)


Le cas des oiseaux : réponse de Thibaut Rivière, ornithologue


Le cas des oiseaux est complexe, les ornithologues eux-mêmes ne sont pas d’accord sur le fait de nourrir ou non les oiseaux. J’ai demandé à Thibaut Rivière, ornithologue, de répondre sur le sujet :


Oui et non. 


Non pas forcément, parce que les oiseaux n’ont pas besoin de nous et sont habitués depuis la nuit des temps à s’adapter aux changements de leur environnement (migration, modification du régime alimentaire, accumulation de graisses, etc.). Les nourrir régulièrement peut même aller à l’encontre de leurs habitudes comportementales. Toutefois, dans le cas de conditions climatiques extrêmes (périodes de gel répétées et qui durent, neige au sol sur une longue période, vent froid et violent), le nourrissage utilisé alors à bon escient peut s’avérer utile pour bon nombre d’oiseaux hivernants. Il apporte une aide ponctuelle, plus adaptée en fonction des besoins immédiats. Malgré cela, on ne doit jamais se substituer à la nature. Il vaut mieux faire en sorte d’améliorer les capacités d’accueil de l’avifaune (plantation de haies, de fruitiers, laisser des zones non fauchées, etc.) plutôt que de compenser avec du nourrissage.


Oui si l’on prend maintenant en compte l’aspect purement anthropocentriste, conception philosophique qui place l’humain au centre de toute chose, que je n’aime guère… mais qui, pour ce cas précis, peut avoir des effets bénéfiques pour la nature. Cette initiative « d’aider » la nature, de nourrir les oiseaux nous connecte directement à celle-ci. En effet, nombre de personnes ont commencé à observer les oiseaux grâce à cette facilité, depuis leur fenêtre de salon ou leur balcon. On peut alors se demander quelle est donc cette espèce ? Finalement c’est une approche comme une autre pour l’homme d’être connecté à une certaine forme de nature qu’il peut aisément reconnaitre par l’intermédiaire de guides naturalistes depuis chez lui. On peut alors se demander : Quel effet cela aurait-il pour notre société si la majorité des gens étaient capables de reconnaitre les oiseaux des jardins ? Connaitre c’est la première étape pour protéger. Sachant alors que telle ou telle espèce fréquente son jardin, curieux de nature nous pouvons alors adapter certains aménagements pour favoriser leur accueil et ainsi améliorer la biodiversité de son jardin. Cette source de nature peut aussi générer des passions chez les plus jeunes. Cette approche, plus philosophique et difficilement mesurable ne doit probablement pas être négligée.


Note : Si vous nourrissez les oiseaux, optez pour des produits de qualité, non traités (graines, fruits, oléagineux, etc.). Inspirez-vous de la nature pour leur donner des aliments similaires à ce qu’ils peuvent trouver par eux-mêmes. Les oiseaux sauvages ont leurs pathologies et leurs parasites qui peuvent, dans certains cas se transmettre aux autres, il convient donc de veiller à prendre quelques précautions d’hygiène sur les secteurs de nourrissage (détergent doux et naturel à appliquer sur les pots et coupelles de nourrissage, 1 fois par semaine environ).


Moineau domestique (Passer domesticus)


Nourrir les animaux peut avoir des conséquences désastreuses si cela vient à se généraliser. La nature a su mettre à disposition des alternatives de nourriture pour les animaux afin qu’ils fassent le plein d'énergie. En voulant les aider, nous pensons de manière égoïste car nous, humains, n’avons pas les aptitudes physiques pour survivre dans la nature comme un animal (pas de fourrure par exemple) et avons toujours dû trouver des solutions. Il ne faut jamais oublier qu’un animal sauvage n’est pas un animal domestique, et par conséquent n’a pas besoin de l’Homme. Retenez simplement qu’il faut éviter un maximum le dérangement (de manière générale mais surtout l’hiver) en tenant son chien en laisse, en ne criant pas et en priorisant les affûts pour les photographes. Pour le cas des oiseaux, notez qu’il faut que cela reste ponctuel et ne jamais nourrir les oiseaux toute l’année pour éviter de les habituer à avoir de la nourriture par un autre biais que par eux-même.

Brame : dérangement et problème d'éthique
Automne rime avec brame du cerf, dans les ambiances brumeuses et colorées les raires des cerfs en rut remplacent le doux chant des oiseaux. Un moment incontournable pour les amoureux de la nature et photographe animalier. Or depuis quelques années, il est de plus en plus compliqué d’observer, photographier voire même écouter le brame. Dans cet article je vous explique pourquoi.